AFP, publié le mercredi 02 février 2022 à 14h43
“On est un peu des Frankenstein musicaux, mais c’est pour la bonne cause”: le musicien français Thomas Dutronc alterne morceau non compressé et en compression, pour prévenir sur un procédé sonore connu, méconnu et prouvé à long terme pour l’ audition.
« Vous entendez la différence ? » lance le fils de Françoise Hardy et Jacques Dutronc, accompagnés par sept musiciens sur la scène du Châtelet à Paris mardi soir pour ce concert-démonstration. Un grand “oui” s’élève du public, qui découvre les dessous de la compression du son. Et prend conscience des risques en cas d’abus répétés au cours d’un débat où sont présentés les résultats d’une étude scientifique.
Cette technique de mixage partait au départ, dans les années 1960, d’une bonne idée, “rééquilibrer des instruments”, comme harmonisant harmonieusement une guitare et une batterie, exposé à l’AFP Christian Hugonnet. Cet ingénieur acousticien est le président-fondateur de l’association La Semaine du son, attaché aux enjeux sociétaux du sonore, à l’initiative de la soirée sous l’égide de l’Unesco.
La compression a été dévoyée au fil du temps. “C’est un chausse-pied, on écrase un soufflé sonore en une galette, et on ramène toutes les galettes vers le niveau fort”, poursuit Christian Hugonnet. Le résultat est “au-dessus de tout, du bruit de la ville, du métro, ça flatte l’oreille qui est paresseuse, qui n’a plus d’efforts à faire, ça rentre, sans nuance”.
– “L’oreille ne se repose plus” –
Démonstration parlante au Châtelet. Dutronc junior joue quatre extraits de titres en trois versions, non-compressée, compressée et à nouveau non-compressée. Derrière lui, la courbe sonore de la prestation est diffusée sur grand écran. En non-compressé, on voit des pics et des creux sonores. En compressé, les reliefs s’estompent et la courbe se tasse dans la partie haute du volume sonore.
Ce que la musique a perdu en contrastes avec le compressé — on entend moins le souffle du chanteur ou les respirations entre les accords — elle le gagne en densité. On voit bien la tentation pour les musiques actuelles d’obtenir ainsi un effet de rouleau-compresseur, avec un son qui ne désemplit pas.
Mais en “l’absence totale de micro-silence, l’oreille ne se repose plus, ses systèmes de protection lâchent à force d’être sur-sollicités”, assène Christian Hugonnet.
Les problèmes auditifs guettent. C’est ce qu’établit une étude sur des cochons d’Inde, présentée par la faculté de Médecine de l’Université Clermont Auvergne (UCA). L’exposition “répétée — typique des auditeurs de musique — à la musique compressée est potentiellement dangereuse pour la sensibilité auditive”, peut-on lire dans la synthèse de cette expérimentation.
Dans ce cadre, “des acouphènes sont possibles, ils font partie des signes de fatigue”, extrapole lors du débat au Châtelet le professeur Paul Avan, responsable de l’Institut de l’audition à Paris, co-auteur de l’étude.
– “Ligne rouge” –
La compression touche aujourd’hui “la télévision, la radio, les services de streaming insi que les concerts de musique”, lit-on encore dans le document de l’UCA.
“Il fallait éviter cette fatigue sonore, il y a une éducation à faire, un message à faire passer”, commente pour l’AFP Thomas Dutronc.
Pour l’artiste, l’époque se prête à un changement des pratiques, sur le modèle “de ce qui s’est fait avec le bio”. “Il faut gratter derrière ce qu’on nous donne, maintenant qu’on sait, les gens qui font ce business vont être obligés de passer à quelque chose de plus humain, de plus chaleureux”.
Natacha Krantz, directrice de la communication de la maison de disque Universal France, va dans ce sens lors du débat. “On va travailler pendant un an autour d’un +label qualité sonore+ avec des artistes comme Thomas, l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), La semaine du son (dans le giron de l’Unesco) pour trouver une juste mesure, une ligne rouge à ne pas dépasser”.
Sur une note plus gaie, la soirée s’achève par un vrai mini-concert de Thomas Dutronc, qui fait se lever le public (masqué) sur les derniers titres “car se trémousser, ça aussi, c’est prouvé, c’est bon pour la santé”.
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